La santé dans les films et séries : remettre en question nos modèles sociétaux à travers la fiction

La construction de nos imaginaires collectifs passe généralement par le biais de récits véhiculés par la littérature, la publicité, les mythes, les séries ou encore le cinéma. Dans ce dernier, lorsqu’on aborde l’écologie, difficile de toucher un large public, et encore plus sans être moralisateur. Alors, certains réalisateurs ont trouvé la parade : aborder l’environnement par le prisme de la santé.

Filmer un environnement où l’on se tue à petit feu

La santé nous concerne tous et toutes et, selon l'OMS, des environnements plus sains pourraient permettre d’éviter quasiment un quart de la charge mondiale de morbidité. En partant de ce constat, les enjeux de santé apparaissent essentiels à mobiliser dans un contexte de transition écologique.
 
Dans les fictions audiovisuelles, ces enjeux sont notamment mis en péril par des conditions écologiques néfastes, souvent causées par nos modèles de société capitalistes. C’est notamment le cas dans le film Rouge, sorti en 2020, où l’on suit Nour, nouvelle infirmière dans une usine chimique. Elle comprend que les déchets produits ont un impact sur la santé des ouvriers sur place et constate que certains minimisent ces problèmes par peur de perdre leur emploi. Le film met alors en lumière les fortes tensions existant entre santé humaine et croissance économique. Réalisé de sorte à toucher la sensibilité de tous ceux connaissant, a minima, le domaine de l’industrie, le film nous invite à réfléchir à nouveau sur ce qui constitue nos environnements et leurs impacts sur nos quotidiens.
 
Le film Erin Brockovich, seule contre tous (2000) montre lui aussi la puissance des industries face aux populations. La protagoniste découvre qu’une société rachète une à une les maisons d’une même ville californienne afin de faire disparaître les habitants ainsi que leurs nombreux problèmes de santé. Or, elle parvient à montrer que ces maladies ont été causées par l’eau potable de la ville, contaminée par les rejets de l’eau de refroidissement de l’usine. Le film est tiré de faits réels, ce qui accroît son ampleur médiatique et crée d’autant plus le scandale.
 
C’est parfois en passant par l’humour que sont dénoncées les pratiques mortelles des industries, comme dans la courte série Cobell Energy (2023), comédie produite par Adam McKay, réalisateur du film Don’t Look Up. On y voit deux dirigeants d’une compagnie pétrolière nier tuer des milliers de gens chaque année, alors que des preuves flagrantes leur sont mises sous le nez.

Dark Waters © Mary Cybulski / Focus Features

Dénoncer le lobbying industriel

Le cinéma dénonce également les impacts néfastes de certains lobbies, dont la seule motivation semble être économique, au détriment de la santé de tous. Le film Dark Waters, sorti en 2020, expose notamment l’histoire d’un fermier qui perd l’ensemble de son troupeau, contaminé par les PFOA (acides perfluoro octanoïques), et qui est défendu par l’avocat Robert Bilott face à l’entreprise chimique DuPont. Ce qui peut sembler relever uniquement du thriller écologique dépeint en réalité une situation vécue et actuelle : en France, l’étude et enquête Esteban révèle qu’en 2019, 100 % des participants possédaient des PFOA dans leur sang. Un chiffre inquiétant quand on sait que les PFOA ont été classés par le Centre international de recherche sur le cancer comme “cancérogène pour l'Homme” en 2023.
 
Cette lutte pour la santé humaine contre les grands lobbies des pesticides est tout autant abordée en France. Dans le film Goliath, sorti en 2022, l’acteur Pierre Niney incarne Mathias, un lobbyiste défendant les intérêts d'un géant de l'agrochimie. Il est alors prêt à tout pour faire conserver la tétrazine, une substance toxique accusée d’être fortement cancérogène. Le film révèle une réelle prise de position de la part de son réalisateur, Frédéric Tellier, qui dénonce la fabrique du doute des lobbies chimiques, s’inspirant fortement de l’affaire des Monsanto Papers sur le glyphosate. Pour lui, la santé des consommateurs et de la société civile est terriblement mise en péril par d’autres entités plus influentes politiquement. Comme il l’explique dans une interview donnée à Parenthèse Cinéma, à travers son film, il interroge la manière dont on arrive “à produire une agriculture si performante, alors qu’on jette tant d’excédents de cette production à chaque fin de mois, et que dans un silence très dérangeant, un agriculteur se suicide tous les deux jours, de désespoir, d’épuisement, de dettes”.
 
En 2023, c’est le réalisateur Pierre Jolivet qui aborde le sujet des pressions et intimidations dans Les Algues Vertes, film adapté de la bande dessinée Algues vertes, l'histoire interdite, d'Inès Léraud et Pierre Van Hove (2019). On y découvre les mécanismes de fabrication du silence de la FNSEA sur les failles du système d’agriculture intensive, via des menaces et des intimidations auprès des populations locales. Tournée en Bretagne, dans les Côtes-d’Armor, cette fiction inspirée de faits réels rend hommage aux deux joggeurs et au ramasseur d'algues décédés de contamination au sulfure d'hydrogène, un gaz émis lors de la putréfaction des algues vertes. L’équipe de tournage s’étant vu interdire l’accès à plusieurs plages du secteur, on comprend bien que le film dépeint une réalité toujours d’actualité, sur un sujet encore trop peu connu.
 
Bonne nouvelle : ce cinéma engagé n’est pas pour autant moins regardé puisque le film Dark Waters a remporté 23,1 millions de dollars au box-office mondial, malgré une sortie durant la crise de la COVID-19.

S’inspirer des dystopies écologiques

La santé est aussi mise en péril dans de nombreuses œuvres audiovisuelles dystopiques, qui poussent à l'extrême les enjeux climatiques de notre siècle, nous invitant à réfléchir sur ce que le monde pourrait devenir. Rappelons que la pandémie de 2019 paraissait dystopique avant que nous la vivions. La série danoise The Rain (2018) illustre bien cette apocalypse écologique, dans laquelle la pluie est porteuse d’un virus ravageant la population, sur une Terre dépourvue de biodiversité.
 
Sur un autre plan, le film Soleil Vert de Richard Fleischer, sorti en 1974, montre une planète où les pénuries alimentaires sont courantes et où la chaleur est mortelle. Le personnage de Thorn enquête sur la manière dont les choix politiques ont entraîné la crise écologique et sociale actuelle. Loin de dénoncer de simples événements hasardeux, le film montre comment les politiques publiques peuvent façonner nos environnements, et donc notre santé, et nous donne un aperçu de ce que l’on voudrait à tout prix éviter.
 
L'atmosphère de ces deux dystopies est oppressante, et les flashbacks renforcent cette impression, mettant en contraste le monde agréable d’avant et la réalité actuelle.

La santé, un enjeu central de la transition écologique

La santé ne doit pas être vue comme une finalité de la transition écologique, mais comme une partie intégrante de celle-ci, qui ne peut être négligée. Les abus doivent être dénoncés, et les productions audiovisuelles ont un rôle crucial à jouer dans ce processus, car elles permettent de mettre en récit des catastrophes sanitaires parfois invisibilisées.
 
Dans certaines fictions audiovisuelles, le concept aujourd’hui qualifié de “One Health” est présenté. Ce concept met en lumière les relations existantes et les dépendances entre la santé humaine, la santé animale, végétale et les écosystèmes. S’apercevoir des co-bénéfices qui peuvent exister entre toutes ces santés nous pousse à agir pour la protection de chacune d'elles. Par exemple, le film d’animation Sauvages, sorti en octobre 2024, nous invite à repenser notre rapport à la nature et à dénoncer les pratiques abusives des industries agro-alimentaires, notamment celles de l’huile de palme. Accompagné d’une campagne d’impact, le film a pour but d’inciter à agir au-delà du message transmis à l’écran. Ainsi, grâce à un site internet dédié, le réalisateur Claude Barras propose des actions concrètes concernant la déforestation et les dérives de l'industrie agro-alimentaire.
 
Mais les productions peuvent aussi montrer un futur plus joyeux, où l'environnement est vecteur de bonne santé. C’est le cas du film d’animation L'homme qui plantait des arbres de Frédéric Back, inspiré de la nouvelle de Jean Giono du même nom. Ce court-métrage montre l’histoire d’un homme en harmonie avec la nature, faisant naître une forêt entière de sa volonté et régénérant les écosystèmes d’un territoire. Ses habitudes sont en totale opposition avec le chaos qui règne parmi ceux cherchant à tout prix à rejoindre la ville en épuisant les ressources en bois. La santé de cet homme est présentée comme le reflet direct de son mode de vie et de son environnement. Sorti en 1987, ce film d’animation a remporté l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 1988.

Sauvages © 2024 - Nadasdy Film

La mission d’Imagine 2050 est de promouvoir l’émergence de nouveaux imaginaires afin de démontrer qu’un autre futur est possible. Alors que six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées, notamment celles liées aux nouvelles pollutions chimiques et à l’intégrité de la biosphère, il est nécessaire de créer des récits pour développer une société pérenne et durable, respectueuse de la Terre et de ses habitants. À travers notre MOOC IMAGINE 2050, consacré aux nouveaux récits sociétaux, mais aussi nos conférences, formations et ateliers en intelligence collective, nous vous invitons à explorer l’impact de l’audiovisuel, des médias et de la culture dans la construction des imaginaires collectifs, ainsi que les moyens de les transformer.
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