Mieux représenter les handicaps sur les écrans

Notre culture et nos manières de penser sont en permanence façonnées par les industries culturelles et créatives, au travers des récits véhiculés par les films, les actualités, les publicités ou les jeux vidéo. Malgré une sensibilisation croissante, une étude européenne menée par Odoxa pour la Fondation Ahadi et l’ARPP observe que la représentation des personnes en situation de handicap dans les médias et sur les écrans français reste encore insuffisante en 2024. Cette sous-représentation et ce manque de représentativité des personnes en situation de handicap risquent de renforcer les stéréotypes. Avec l’émergence d’initiatives inspirantes, il est plus que jamais possible de relever le double défi de représentation et représentativité dans nos récits pour offrir une vision plus authentique des handicaps à l’écran.

L'affiche du film “Un p’tit truc en plus”

Représentation des handicaps visibles et invisibles

 
La question de la représentation des handicaps ne se limite pas à leur faible fréquence, mais concerne également la façon dont ces représentations sont construites. Comme le souligne l’Observatoire des images dans son Focus #12, “c’est la nature même de la représentation du handicap qui est problématique”. Dans les fictions audiovisuelles, les personnages en situation de handicap sont souvent réduits à leur condition, présentée comme leur seule caractéristique narrative. Ils sont fréquemment dépeints sous des angles simplistes, soit suscitant la pitié, soit incarnant un héroïsme exagéré pour avoir surmonté leur handicap. Ces clichés, largement répandus, demeurent le schéma dominant dans les récits.
 
Cette tendance est corroborée par une étude américaine du National Research Group sur la représentation des personnes sourdes. Elle révèle qu’en 2022, 63% des spectateur·rices sourd·es estimaient que Hollywood représentait leur communauté à travers des stéréotypes négatifs. Cela met en lumière la persistance de récits qui peinent à refléter la diversité des expériences réelles.
 
Toutefois, certaines initiatives tentent de faire évoluer ces représentations, y compris dans des domaines inattendus comme les jeux vidéo. Par exemple, Joy, une tenue personnifiée dans le célèbre jeu vidéo Fortnite marque une avancée notable : elle vit avec le vitiligo, une dépigmentation de la peau particulièrement visible sur les personnes de couleur. En plus d’accroître la visibilité de cette dermatose, le jeu vidéo l’accompagne d’un texte descriptif, sensibilisant ainsi les joueur·euses à cette condition. En revanche, comme le souligne The Gamer, cette représentation reste limitée puisque Joy se réduit à un choix vestimentaire dans le jeu vidéo.

La famille Bélier, (de gauche à droite) père, fille, mère et fils

Le cinéma offre également des exemples contrastés. La Famille Bélier, un succès du box-office français primé aux César, a mis la lumière sur la langue des signes française (LSF) grâce à l’implication de coaches spécialisés comme Alexei Coica. Cependant, son adaptation américaine, CODA, a franchi une étape supplémentaire en engageant des acteur·rices eux-mêmes malentendant·es maîtrisant la langue des signes américaine (ASL). Cette approche apporte une meilleure authenticité au film. Et ses trois prix aux Oscars, dont celui octroyé à l’acteur sourd Troy Kotsur pour Meilleur Acteur dans un Second Rôle, illustrent le succès d’une représentation plus inclusive et directe des communautés concernées.
 

La représentativité sur les écrans

 
Confier des rôles à des personnes en situation de handicap ne doit pas se limiter à une question de diversité superficielle, c’est un premier pas vers une véritable représentativité. Inclure ces personnes à l’écran améliore la fidélité de la représentation en réduisant la marginalisation des communautés souvent mises à l’écart. Le secteur audiovisuel possède un immense pouvoir pour impulser un changement social en donnant de la visibilité à ces réalités.
 
Un exemple marquant est celui du film français Un p’tit truc en plus, qui a franchi le cap des 10 millions d’entrées en salles. Ce succès repose notamment sur une démarche inclusive exemplaire avec la création du poste de coordinatrice régie handicap, incarnée par Margault Algudo-Brzostek. Ce rôle-clé a permis de relier les comédien·nes en situation de handicap avec l’équipe technique, favorisant une collaboration fluide. Le choix du casting a offert un vrai caractère représentatif au film. Le réalisateur, Artus, a exprimé son espoir que la popularité de son film permette “de faire comprendre aux gens du cinéma que (les personnes en situation de handicap), c’est un sujet qui intéresse”.

L'affiche du film “Un p’tit truc en plus”

Certain·es acteur·rices d’Un p’tit truc en plus ont été découverts grâce à l’agence de casting spécialisée dans la formation d’acteur.rices en situation de handicap, l’Agence Cristal. Cette agence se consacre à l’émergence de talents en situation de handicap, jouant un rôle important dans la professionnalisation de ces artistes.
 
De manière similaire, le film Unstoppable du réalisateur William Goldenberg raconte la carrière d’Anthony Robles, un ancien lutteur américain vivant et travaillant avec seulement une jambe, grâce au vrai Anthony Robles qui joue les cascades de l’acteur qui l’incarne, Jharrel Jerome. Les monteurs truquistes se sont ensuite servis des effets spéciaux pour remettre le visage de Jharrel par-dessus celui d’Anthony. Le travail d’équipe entre les deux hommes a permis de représenter fidèlement la vie et les émotions du protagoniste en situation de handicap. Le film montre toutes les failles du personnage comme ses victoires pour offrir une image d’un humain réel.

Quatre hommes font du demi fond, dont Jharrel Jerome qui joue le rôle d'Anthony Robles

Du côté du petit écran, France 3 a pris la décision de confier l’animation de sa nouvelle saison de l’émission Slam à Théo Curin, un choix significatif en matière de représentation. Ce nageur paralympique, amputé des quatre membres, est devenu une figure inspirante non seulement par ses exploits sportifs, mais aussi par son charisme et sa capacité à porter un regard inclusif à la télévision. Sa présence en tant qu’animateur de ce jeu quotidien ne se contente pas d’ajouter de la diversité à l’émission, elle normalise le handicap auprès d’un large public et contribue à déconstruire les stéréotypes, tout en prouvant que le talent et la détermination surpassent les aspects physiques.
 
Lorsque la représentation et la représentativité sont incorporées dans les contenus diffusés sur nos écrans, il reste à s’assurer que ces contenus seront bien accessibles aux personnes en situation de handicap.
 

L’accessibilité des contenus

 
L’accessibilité aux contenus audiovisuels par les personnes en situation de handicap demeure une problématique à traiter. En France, grâce au Centre National de la Cinématographie (CNC) et douze entreprises du secteur, l’Observatoire des images a compilé la base de données LULA, Les Uns et les Autres, une ressource qui facilite “la création de fichiers de sous-titrage et d’audiodescription afin de permettre un accès de qualité aux œuvres cinématographiques par les personnes sourdes ou malentendantes et par les personnes aveugles ou malvoyantes”. Par ailleurs, le CNC soutient les investissements et travaux nécessaires à rendre les salles de cinéma et les équipements accessibles à tous·tes. La mission de LULA va encore plus loin en accompagnant “celles et ceux qui travaillent dans le cinéma et l'audiovisuel dans leurs réflexions autour de l'employabilité des personnes en situation de handicap devant comme derrière la caméra”.

Schéma de la base de connaissances Les Uns et Les Autres (LULA)

Dans les jeux vidéo, la croissance des technologies d’assistance ouvre aussi la voie aux joueur·euses vivant avec des différences motrices. Les dispositifs tels que les commutateurs d’accessibilité standardisés permettent de simplifier les commandes. Des personnes nées avec une paralysie cérébrale peuvent par exemple contrôler leurs écrans par le suivi du mouvement des yeux. Ces innovations technologiques montrent qu’une culture inclusive des joueur·euses dans les univers jeux vidéo et e-sportifs est possible.
 
La représentativité et l’accessibilité dans les industries culturelles et créatives ne sont pas des fins en soi, mais des leviers pour transformer les perceptions sociales et combattre la marginalisation des personnes en situation de handicap par la représentation qui en résulte. C’est par l’engagement collectif des créateur·rices, producteur·rices, diffuseur·euses et spectateur·rices que les productions audiovisuelles deviendront un miroir plus fidèle de la diversité humaine. Une culture plus juste n’est pas seulement une exigence morale, c’est une opportunité de bâtir une société dans laquelle chacun·e peut se reconnaître et se faire comprendre.
 
La mission d’Imagine 2050 est de favoriser l’émergence de récits plus inclusifs, solidaires et écologiques. À travers notre MOOC IMAGINE 2050 dédié aux nouveaux récits de société, nous vous invitons à réfléchir à l'impact de l’audiovisuel, des médias et de la culture dans l’élaboration d’imaginaires où toutes les voix peuvent être entendues.