BAKELITE, le nouveau court-métrage produit par Imagine 2050 : interview de Julie Gautier, autrice et réalisatrice

« BAKELITE » est le dernier court-métrage de Julie Gautier, produit par Magali Payen (Imagine 2050). Une fable écologique sur notre relation ambivalente avec le plastique. Dans ce premier entretien dédié au film, nous explorons avec Julie Gautier, la réalisatrice, la façon dont la fiction peut appeler à l’action.

À propos de BAKELITE

BAKELITE est le dernier court-métrage de Julie Gautier, produit par Magali Payen (Imagine 2050) et tourné entièrement sous l’eau en mer Méditerranée durant l’été 2023. Le film a reçu le soutien du CNC Talent et est le premier court-métrage à obtenir le label Ecoprod Pionnier.
 
Le court-métrage de 6 minutes met en scène la rencontre et la confrontation entre un géant de plastique, Bakélite (joué par Hortense Le Calvez), et une Naïade, esprit de l’océan (Julie Gautier). Ce ballet sous-marin est une fable écologique figurant notre relation ambivalente avec le plastique. La fin de l’histoire est porteuse d’espoir : si nous nous mobilisons ensemble pour renverser la société du tout jetable, nous pouvons sauver les océans.

Au travers d'interviews spéciales de l'équipe du film (Julie Gautier, Hortense Le Calvez, Jacques Ballard, Claire Egnell et Magali Payen), nous avons cherché à explorer la question des pouvoirs et des particularités des nouveaux récits de fiction mis au service du Vivant.

Comment peut-on réussir à mobiliser pour protéger le réel lorsqu’on montre à l’écran des personnages fictifs et surnaturels plutôt que des images documentaires des conséquences du changement climatique et de la pollution ? Pourquoi le cinéma et la production ont-ils un devoir d’exemplarité, et quels nouveaux défis apporte l’« éco-production » ? En quoi BAKELITE est un nouveau récit de fiction ?
 
Pour le premier entretien de cette série, nous avons interviewé Julie Gautier, réalisatrice et autrice de BAKELITE afin d'explorer la question du pouvoir de la fiction au service du Vivant.

Entretien avec Julie Gautier, réalisatrice, co-autrice et actrice de BAKELITE

Julie Gautier est une réalisatrice, apnéiste (ancienne détentrice du record de France) et danseuse française. Elle est reconnue pour ses performances subaquatiques gracieuses et poétiques et célèbre pour ses films. Elle a conquis un large public à travers le monde grâce à des œuvres telles que "One Breath Around The World", "Ama", "Narcose" ou encore le clip "Runnin’ (Lose it all)" de Naughty Boy ft. Beyoncé, qui cumulent des centaines de millions de vues.
 
C'est par l'onirisme et la magie des contes sous-marins qu'elle cherche à toucher les spectateur•rices.

“Il y a autant de sensibilités que d’idées. Donc toutes les narrations et actions sont bonnes si elles sont vertueuses.” (Julie Gautier)

Bonjour Julie, tu es la réalisatrice, autrice mais aussi l’une des actrices principales de BAKELITE. J’aurais aimé commencer en élucidant un mystère : ça veut dire quoi, “bakélite” ?

Au début, quand j’ai proposé le projet à Hortense Le Calvez (co-autrice du film, ndlr) je l’avais appelé Le Géant amoureux. En fait, je ne connaissais pas ce terme de « bakélite ». C’est Hortense qui a fait cette proposition et qui m’a expliqué que la bakélite était l’ancêtre du plastique, sa première forme industrialisée et donc notre premier contact de masse avec cette matière révolutionnaire qui au départ était une innovation positive. Le géant représente notre relation à la matière plastique. Il est au début presque à taille humaine, il suscite la curiosité, il est quasiment mignon. Mais après avoir accepté la danse avec l'humanité, celle-ci va tellement l’aimer qu’il va grossir de plus en plus jusqu’à devenir menaçant et absorber sa partenaire. Seule l’intervention d’autres humains va permettre de la libérer. Le message est évidemment que chaque geste compte mais que c’est par leur multiplicité qu’on arrivera au bout de la lutte. On y arrivera ensemble.

 

BAKELITE c'est donc un film à impact pour appeler à l'action contre la pollution plastique, notamment dans le cadre de la campagne #SickOfPlastic de On Est Prêt. En tant qu'apnéiste, la mer est un milieu dans lequel tu évolues au quotidien et avec lequel tu entretiens un rapport particulier. Est-ce que tu as vu un changement ces dernières années en termes de pollution plastique ?

Je vois de plus en plus de micro-plastiques et c’est effrayant car on peut nettoyer une plage jonchée de déchets, mais comment nettoyer la mer de plastiques qui ont la taille et la densité du plancton ? Il faut absolument, au-delà de consommer moins ou de recycler le plastique, arrêter de le produire sinon on est comme Sisyphe et son rocher. C’est un cycle sans fin, une damnation. Je me rappelle avoir filmé les cachalots aux Açores et là en plein milieu de l’Atlantique il y avait du micro-plastique partout. Quoi de plus choquant que ces animaux trouvés morts avec dans l’estomac des centaines de plastiques.

 

Et en tant qu'artiste, cela fait longtemps que tu utilises l’art pour sensibiliser sur les enjeux écologiques. Pour toi, comment les œuvres peuvent-elles réussir à nous toucher et à nous interroger là où les mots ne suffisent plus ?

En fait c’est le premier film vraiment engagé que je fais. J’ai réalisé beaucoup de films qui mettent en avant la beauté du milieu aquatique et qui sensibilisent les gens mais j’oserais dire d’une manière organique et passive. Là, pour BAKELITE, le parti pris de parler de la pollution plastique et surtout le fait d’être produite par Imagine 2050 et soutenu par On Est Prêt marquent une intention active de parler de la lutte pour l’environnement. Je me rends bien compte que mon travail touche les gens et je voulais profiter de cette attention pour les amener à se poser des questions sur notre rapport à l’environnement et notre impact. J’avais envie passer au stade supérieur et de ne plus « suggérer », mais d’influencer et surtout donner des armes et solutions pour agir.

 

Quelles ont été tes inspirations pour l’écriture de ce film ?

J’ai eu l’idée de ce film en voyant une vidéo très courte sur le site d’Hortense. C’est, sous l’eau, une forme qui sort du sable et se transforme en chaise. Très simple, sans artifice, à la manière d’une marionnette. J’ai tout de suite visualisé une marionnette géante et j’ai construit le scénario autour de cette vision. Ensuite avec Hortense on a aussi fait la relation avec l’histoire de La Belle et la Bête de Cocteau.

 

En quoi BAKELITE est un nouveau récit qui se veut inspirant ?

BAKELITE est juste une œuvre de fiction dont l’objet est de capter l’attention et d’interpeller sur notre relation à l'Océan. Comme le film est réalisé sans aucun trucage, le public est captivé par ma performance et le fait que je puisse me déplacer ainsi sous l’eau. Ça remet de la magie dans notre rapport au monde réel et met en avant notre capacité innée en tant que mammifère à évoluer naturellement sous l’eau. Ainsi l'Homme est remis à sa place d’animal qui vient des océans. L’idée est que face à ce constat chacun puisse se poser des questions sur son lien à cet élément, développer une curiosité envers lui pour apprendre à le connaître puis l’aimer et avoir envie de le protéger.
 

Penses-tu que les nouveaux récits de fiction ont autant d’impact que les nouveaux récits documentaires par exemple ?

Mes armes ont toujours été la beauté, la grâce et raconter des histoires. La fiction et le conte restent donc pour moi la façon la plus efficace de toucher les gens au cœur. Je pense qu’il faut de tout pour faire un monde et qu’il y a autant de sensibilités que d’idées. Donc toutes les narrations et actions sont bonnes si elles sont vertueuses. BAKELITE par exemple ne touchera pas forcément le même public qu’un documentaire, et tant mieux, ça ne fait qu'étendre le champ d’action de la lutte pour la protection de la vie.
 
 
Découvrez le court-métrage avant de poursuivre votre lecture de cette interview :

Il y a quelque chose qui frappe dans ce film : à l’exception des premières secondes, il est entièrement muet. Pourquoi ce choix ?

Mes films sont toujours muets. Je trouve que les mots portent à confusion et sont trop directifs. C’est certainement pour ça que je ne filme que dans l’eau, le monde du silence. J’aime la douceur, la subtilité et surtout la libre interprétation. Un scénario devrait être assez fort pour parler de lui-même. Ensuite les mouvements, qu’ils soient du corps ou de la caméra, sont là pour donner du sens à l’action. Le décor est posé, la trame de l’histoire suggérée, chacun peut y mettre les détails et l'émotion propres à son expérience de vie.

 

Tu joues le personnage de la Naïade qui combat le géant Bakélite. Pourquoi le choix de ce personnage mythologique ? Et pourquoi le choix d’avoir gardé une apparence complètement humaine ?

Pour moi la Naïade représente l’incarnation de l’humanité qui vit en harmonie avec l’océan. J’ai hésité à lui donner une apparence plus mystique mais finalement je trouvais préférable que le public puisse s’identifier à mon personnage.
La Naïade est double. C’est pour moi l’âme de l’océan, donc son état dans sa pureté originelle, et aussi l’Homme en tant que mammifère marin dont la vie est intimement liée à celle de l’eau. Ce n’est autre que nous même que nous détruisons en polluant la planète. Elle, se remettra.

 

Qu’espères-tu pour ce film ? Quelle est ton intention pour le spectateur ?

J’aimerais que BAKELITE puisse servir à conforter ou ouvrir de nouvelles consciences à l’impact que nous avons sur notre environnement. Qu’il puisse surtout servir de porte d’entrée à un passage à l’acte et donc des actions concrètes que chacun peut faire au quotidien car comme l’exprime le film : ensemble nous sommes plus forts. Il y a plein de choses sur lesquelles on ne peut pas agir en tant que citoyen mais le plastique est une matière que nous consommons au quotidien et donc un ennemi sur lequel on peut agir directement et individuellement en limitant la consommation. C’est aussi la source de pollution la plus visible au contraire par exemple du CO2, et la plus insidieuse.
 
Ma force c’est d’arriver à toucher par l’image mais dans le cas de ce film ce qui est encore plus important c’est que mon public est très hétéroclite et pas forcément éco-sensible. C’est une formidable opportunité de grossir nos rangs.
J'aimerais aussi que le film puisse servir de fer de lance de toute action, fondation, association, tout parti politique qui œuvrent à l’éradication du plastique. Ce film sert juste à attirer l’attention et rendre le discours sexy et fun. Je pense que c’est extrêmement important pour que le message puisse aussi passer dans la joie et la bonne humeur. Je ne veux pas démoraliser ou terroriser mais plutôt fédérer. C’est pour ça que le géant n’est pas laid ou monstrueux. Il n’y est pour rien. C’est nous qui l’avons créé et nous qui l’avons mal utilisé.
Je rêve que le géant devienne un emblème de la lutte pour la réduction du plastique. Je vois des événements festifs comme des nettoyages de plages qui finissent en construction de géants, de carnavals du plastique, de projets pédagogiques autour de la fabrication de marionnettes à partir de déchets. Il faut rendre la cause visuelle et attractive. Pour moi les chiffres ne parleront jamais autant que l’expérience.
 
Quel est l’impact d’une phrase comme : 15 000 kg de déchets plastiques sont déversés dans les océans chaque minute, contre l’expérience de fabriquer et voir de ses propres yeux un géant de 4 mètres réalisé avec les déchets plastiques de votre foyer en une semaine ?
Je pense qu’il faut arrêter de penser à échelle globale et revenir à du local, à du tangible. On ne sauvera pas le monde mais on peut changer des choses autour de soi, dans sa communauté.
 
Ensuite, comme le colibri, l'effet de masse fera son travail.
 

Aller plus loin :

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