Eco-produire un court-métrage comme BAKELITE, interview de l’équipe

« BAKELITE » est le dernier court-métrage de Julie Gautier, produit par Magali Payen (Imagine 2050). Il est aussi le premier court-métrage à recevoir le label Ecoprod Pionnier ! Dans ce deuxième entretien dédié à l'éco-production, nous en explorons les défis avec Jacques Ballard, le directeur de la photographie, Claire Egnell, assistante de production, et Hortense Le Calvez, co-autrice du film et artiste plasticienne.

Retour sur BAKELITE

Il y a quelques jours nous vous présentions lors d'une interview avec Julie Gautier les secrets derrière l'histoire de BAKELITE, son nouveau court-métrage produit par Magali Payen (Imagine 2050).
 
BAKELITE est un conte-ballet sous-marin qui met en scène la rencontre et la confrontation entre un géant de plastique, Bakélite (joué par Hortense Le Calvez), et une Naïade, esprit de l’océan (Julie Gautier). Le film a reçu le soutien du CNC Talent et est le premier court-métrage à obtenir le label Ecoprod Pionnier.

Au travers d'interviews exclusives de l'équipe du film (Julie Gautier, Hortense Le Calvez, Jacques Ballard, Claire Egnell et Magali Payen), nous allons vous faire découvrir les coulisses de la création d'un nouveau récit de fiction mis au service du Vivant.

Comment peut-on réussir à mobiliser pour protéger le réel lorsqu’on montre à l’écran des personnages fictifs et surnaturels plutôt que des images documentaires des conséquences du changement climatique et de la pollution ? Pourquoi le cinéma et la production ont-ils un devoir d’exemplarité, et quels nouveaux défis apporte l’« éco-production » ? En quoi BAKELITE est un nouveau récit de fiction ?
 
Pour le deuxième entretien de cette série, nous avons interviewé Claire Egnell, assistante de production, Jacques Ballard, directeur de la photographie et Hortense le Calvez, co-autrice et actrice (Le Géant) de BAKELITE. Avec eux, nous avons cherché à mieux comprendre les défis de l'éco-production dans le cinéma et l'art, et l'importance d'aligner fond et forme lorsque l'on crée un nouveau récit.

Entretien avec Claire Egnell, assistante de production chargée de l'éco-production de BAKELITE

 

Bakélite a obtenu le label Ecoprod Pionnier. Que signifie ce label ?

Le Label Ecoprod a été créé pour réduire l’impact écologique des tournages et il vient récompenser les productions audiovisuelles qui, comme BAKELITE, ont mis en place un certain nombre de mesures selon un barème très concret pour réduire leur impact. Les candidats au label sont audités par un évaluateur externe : AFNOR Certification.

Pourquoi était-ce important pour l'équipe de chercher à obtenir ce label pour BAKELITE ?

On a un devoir d’exemplarité vis-à-vis du message qu’on souhaite porter. BAKELITE ouvre une campagne sur les enjeux de la pollution plastique (la campagne #SickOfPlastic de On Est Prêt, ndlr) et les enjeux environnementaux de façon générale. Il s’agissait de mettre en cohérence le fond et la forme, et il nous paraissait donc évident de faire en sorte d’obtenir le label éco-production pour le tournage de BAKELITE. Il était aussi important de mener cette démarche afin de rendre visible auprès de toutes les personnes impliquées dans le projet les enjeux environnementaux pour qu’elles les aient en tête.
 

Quels ont été les plus grands défis dans les efforts à fournir pour respecter les critères Ecoprod ?

Ce qui est compliqué sur un tournage, c’est qu’il y a énormément de métiers différents avec chacun leurs contraintes propres, et que l’éco-production vient en ajouter. Il était important que tous les postes aient les contraintes et impératifs de l’éco-production en tête, parce que ce n’est pas quelque chose qui peut se faire en silo : il est obligatoire de l’intégrer à toutes les étapes de production, et cela demande du temps.
Il était également difficile de trouver sur place des prestataires capables d’intégrer cette démarche, qui avaient les compétences dont nous avions besoin et qui étaient sensibles à ces sujets. C’était le cas pour la restauration par exemple : la nourriture sur un tournage est un point à la fois sensible et en même temps très visible. Il n'a pas été très simple de trouver un prestataire qui réponde à nos critères sur place.

À l’inverse, qu’elles ont été les choses très simples à mettre en place ?

Le transport : comme les deux tiers de l’équipe n’étaient pas Niçois et que nous étions hébergés à 200m du lieu d’embarquement pour le tournage, il a été facile de mutualiser les transports et de prendre le train pour venir à Nice. L’école de la mer nous a également beaucoup aidés en mettant à disposition ses locaux.
La création des costumes d’Hortense Le Calvez est aussi rentrée très facilement dans les critères de l’éco-production puisqu’elle avait intégré une démarche écologique dans son travail avant même la démarche de labellisation.
Enfin, puisque nous avons tourné en milieu naturel en extérieur, nous avons pu bénéficier de la lumière naturelle, il n’y avait pas de décors à construire et nous avions déjà une équipe réduite… Autant d’efforts déjà existants que nous n’avons donc pas eu à produire en plus.

BAKELITE est un court-métrage : est-ce qu’obtenir le label Ecoprod pour un long-métrage est beaucoup plus difficile ou les défis sont-ils les mêmes ?

Le fait qu’on tourne sous l’eau, uniquement en extérieur… C’était un projet qui avait extrêmement de spécificités, et donc de toute façon sur tout autre projet les questions seront très différentes. Sur un long-métrage, les questions de dimension de l’équipe se posent. Le label Ecoprod se positionne beaucoup sur l’amélioration de l’existant ; avec Bakélite on partait déjà d’un projet très sobre dans sa conception, donc on est allé plus loin. En plus, tout le monde était déjà sensible à ces thématiques sur le tournage. Le label Ecoprod ne peut pas s’obtenir si une seule personne est sensible sur le tournage, il faut que tout le monde soit impliqué. L'approche transversale est la clé sur ce type de projet.

Entretien avec Jacques Ballard, directeur de la photographie

Directeur de la photographie du film BAKELITE, vous êtes spécialiste de la prise d’images sous l’eau. J’aimerais d’abord me concentrer sur les défis du tournage, et les façons dont vous les avez surmontés.

En France on attribue vite des étiquettes dès que quelqu’un fait quelque chose d’un peu différent. Je trouve qu’il faut faire attention car cela enferme ceux à qui on les attribue. Je suis avant tout directeur de la photographie : je viens d’abord de l’image et du cinéma avant la plongée, ce qui fait que ma façon d’interpréter et d’accompagner les réalisateurs.trices sur les films aquatiques est une démarche plus cinématographique que documentaire. Julie et moi travaillons ensemble depuis une quinzaine d’années et aimons raconter des histoires sous l’eau. Nous avons marqué, fait rêver et pleurer des spectateurs autour du monde et pouvoir partager avec tous ces gens nos histoires est une belle satisfaction.
 
Pour ce qui est des difficultés rencontrées, chaque tournage est un défi et l’aspect sous-marin en ajoute évidemment. Les conditions de mer et de météo étant des éléments incontrôlables et difficilement prévisibles, il faut adapter notre façon de travailler pour pouvoir aller au gré de ces conditions. Les productions ont souvent du mal à comprendre cette façon de travailler mais nous sommes là pour leur partager nos expériences passées réussies et les rassurer sur le fait qu’il est totalement possible de travailler avec ce que la Nature nous offre. Pour ceux qui n’en ont pas l’habitude, tout sur ce film peut être vu comme un défi : la météo, l’élément marin, le froid, les dangers liés à la plongée bouteille et l’apnée, la sécurité… Cependant, en communiquant suffisamment à l’avance avec les équipes, il est possible de se préparer à la majorité de ces défis.

L’éco-production de BAKELITE a-t-elle représenté un défi majeur pour vous, directeur de la photographie ?

L’éco-production n’est pas quelque chose de nouveau, et au sein de l’AFC (Association française des directrices et directeurs de la photographie cinématographique), nous prenons à cœur et très au sérieux les recommandations de nos collègues qui ont créé ce label. Il est du devoir de toutes et tous, dans n’importe quel secteur, de s'engager à produire et à consommer de façon plus éco-responsable. On doit travailler non seulement à réduire autant que possible nos empreintes carbone, mais aussi à produire de façon plus responsable et sociale. Ecoprod a mis en place un service de conseils et des modes opératoires aidant les productions à aller dans ce sens. Ça ne s’arrête pas à remplacer les voyages en avion par des modes de transport moins polluants. Cela affecte notre façon de manger (moins de viande, privilégier les circuits courts, produits de saison, pas de déchets), vivre ensemble (le respect, l’égalité, la parité, l’écoute), le rythme de travail (en évitant la frénésie pour produire plus, moins cher, plus vite…), le choix du matériel (le moins polluant et plus durable), l’utilisation des choses existantes, recycler, penser local, tenter d’utiliser les énergies renouvelables autant que possible... Le cinéma est une industrie polluante, et aujourd’hui il reste impossible d’être totalement neutre en carbone, mais cela vaut le coup d’essayer au maximum.

 

Il n’y a aucun recours aux effets spéciaux dans BAKELITE. Pourquoi ? Cela a-t-il amené des difficultés nouvelles ?

Tout le film a été entièrement réalisé sans effets numériques, Julie et Hortense y tenaient très fort. Elles en ont fait un principe. Méliès faisait rêver ses spectateurs il y a plus de 120 ans avec des effets spéciaux non numériques : la magie du cinéma vient de là. Nous montrons que nous pouvons encore faire rêver sans surenchère numérique. Ça implique bien sûr de réfléchir ensemble aux mécanismes, au découpage et au montage pour nous aider à faire cela. (Suite de l'échange après la vidéo du making of)

Nikon est partenaire de BAKELITE et vous avez eu l’occasion de tester de nouveaux appareils. Est-ce qu'ils ont changé des choses dans votre façon de filmer et de raconter par l’image l’histoire de BAKELITE ?

Notre partenariat avec Nikon a commencé il y a plusieurs années et quand ils nous ont proposé de tester leur nouvel appareil photo reflex numérique Z8 (DSLR) qui filme en Raw, j’ai tout de suite été séduit par le fait que ce soit un appareil si petit et si puissant, offrant un autofocus fiable et une stabilisation très puissante ! Cela nous a permis par exemple de faire le plan séquence du début du film avec une grue plus légère et plus longue, de travailler sur des bateaux plus petits, et de façon plus rapide, avec moins de stress… et lors du jour de repos de l’équipe, Julie et moi avons pu tourner des plans simplement tous les deux sans avoir à mobiliser toute une équipe.
 

Est-ce que les thèmes de l’écologie et plus spécifiquement de la pollution plastique étaient déjà des sujets importants pour vous avant ce film ?

Je travaille sur des documentaires autour de l’environnement et de l’eau depuis plus de quinze ans et suis bien sûr sensible aux problèmes auxquels notre humanité fait face. J’ai vu en à peine quinze ans des endroits sur terre et sous l’eau se vider de leur biodiversité, des sociétés disparaître, les inégalités se creuser. Mais j’ai aussi vu des endroits se peupler à nouveau très rapidement, des écosystèmes s’adapter, filmé des initiatives et des actions magnifiques qui montrent à quel point nous avons le pouvoir d’agir pour le bien de la planète et du vivant. Filmer ces problématiques fait à présent partie de notre quotidien. L’humanité est engagée quoi qu’il arrive dans la décision de survivre ou de s’éteindre. Ce n’est pas facile mais il est tout à fait possible de vivre et travailler plus écologiquement, il suffit de le vouloir.

Entretien avec Hortense Le Calvez, artiste plastique et co-autrice du film BAKELITE

« Hortense Le Calvez est une artiste qui vit à Brest et explore l’histoire environnementale et les stratégies adaptatives sociétales sous l’angle maritime. Sa pratique interroge le fossé paradoxal entre les compréhensions individuelles et les réactions collectives face aux problématiques écologiques et énergétiques. » (Source : hortenselecalvez.com)
 
Pour le dernier entretien de ce triptyque, nous avons décidé de l'interviewer pour mieux comprendre la démarche derrière son œuvre plastique, Le Géant Bakélite. Comment s'inscrit-il lui aussi dans une démarche d'alignement du fond et de la forme ?
 

D’où est née l’idée de la collaboration avec Julie Gautier pour une œuvre cinématographique ?

La création artistique et poétique sous-marine est une niche sacrément étroite, je suis très admirative du travail de Julie Gautier depuis mes premières expérimentations de sculptures et installations sous-marines. Nous avons fini par nous écrire, elle m’a parlé de l’idée d’un géant inspiré de certaines de mes pièces. J’ai alors commencé à dessiner les prémisses de ce projet commun, il y a plus de 5 ans. Mon intérêt était de jouer avec les possibilités surréalistes sculpturales et scéniques dans un environnement en microgravité. La capacité de Julie de n’avoir besoin d’aucun équipement pour évoluer sous l’eau de manière aussi naturelle est fascinante et je ne pouvais pas rêver meilleure partenaire de jeu pour mettre en scène mes sculptures.

Comment avez-vous imaginé le Géant Bakélite ? Que représente-t-il pour vous ?

La forme du Géant vient d’une de mes premières séries d’images et de tests sous-marins nommée Posidonia réalisée en Crête. Les posidonies sont des herbiers aquatiques en forme de bande. À l’époque, en 2013, j’avais repris cette texture pour recouvrir des objets du quotidien, chaises, bols, table, pour imaginer leurs devenirs une fois délaissés dans les courants. Cette technique a été réutilisée pour recouvrir ce géant humanoïde, qui à mon sens, représente l’ombre monstrueuse de notre quotidien noyé dans les produits fossiles utilisés à outrance. J’ai souhaité l’incarner, car je voulais être responsable de ma pièce et de ma performance. Cela m’aurait dérangé de confier à autrui cet exercice inconfortable.
 

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la création de votre costume ?

La grande majorité des éléments pour fabriquer les trois costumes qui constituent la croissance du monstre sont d’occasion. Grâce à la gentillesse d’Aurélie et Élodie de l’antenne de SurfRider Finistère j’ai pu avoir accès à du plastique « sauvage » récolté lors de nettoyage de plage. J’ai aussi eu la chance de découvrir la boutique “The Old Shell” à Brest qui répare et vend des combinaisons d'occasion. Léa, la créatrice de la boutique, a réalisé la couture des bandes élastiques sur le néoprène. C’est grâce à ce système que j’ai pu fixer solidement, avec des nœuds et des agrafes, les bandes de plastique afin qu’elles ne se déchirent pas. L’armature incroyablement solide des épaules du dernier géant a été réalisé par la talentueuse couturière Rozenn de l’atelier La Magie des Corsets à Brest.
 
Se lester correctement et se déplacer avec cette masse sous l’eau était difficile. Grâce à la magie du montage, je semble aussi agile qu’un petit chat, en réalité, l’inertie de mes déplacements était un obstacle de taille pour réussir à réaliser les plans ambitieux que Julie avait imaginés. J’ai été bluffée par le travail de l’image et du montage. L’équipe du tournage était constituée de personnes toutes plus incroyables les unes que les autres. C’était un régal.

Qu’avez-vous essayé de dire au public à travers lui ?

À travers le géant et peut-être aussi l’inertie de son déplacement, se dessine une lutte compliquée pour se défaire d'un système civilisationnel paradoxal qui nous entoure, nous conditionne, nous soutient tout en nous privant de nos sens. Finalement, je ne ressens pas d’altérité frappante avec ce géant, le conflit chimique quotidien avec cette matière plastique omniprésente et envahissante est constant.
 

Pour aller plus loin

Retrouvez l'interview de Julie Gautier, réalisatrice de BAKELITE. Elle revient sur la démarche artistique et engagée derrière son œuvre.
Découvrez dès à présent l'interview de Magali Payen, productrice de BAKELITE, présidente d'Imagine 2050 et fondatrice du mouvement de mobilisation citoyenne On Est Prêt qui porte la campagne #SickOfPlastic lancée par ce court-métrage. Vous aussi, agissez contre la pollution plastique !
 
Crédits photos : Coline Balfroid / @colineblf