La production à impact : entretien avec Magali Payen, productrice du film BAKELITE

Magali Payen, présidente d'Imagine 2050, est également la fondatrice du mouvement de mobilisation citoyenne On Est Prêt. C'est autour du court-métrage BAKELITE que la nouvelle campagne du mouvement, #SickOfPlastic, s'est construite. Dans une interview exclusive, elle nous explique ce qu'est la production à impact.

Résumé de BAKELITE

BAKELITE est le nouveau court-métrage de la réalisatrice apnéiste Julie Gautier, produit par Magali Payen (Imagine 2050). Une fable subaquatique, rencontre entre une Naïade et un géant de plastique. Les deux personnages s'expriment non pas au travers des mots mais avec leurs corps dans un ballet amoureux fatal, dénonçant ainsi les conséquences néfastes de notre relation avec le plastique. La fin du court-métrage est cependant porteuse d'espoir et nous rappelle qu'en passant à l'action ensemble, nous ne sommes pas condamnés.
 
Ce court-métrage ouvre également la nouvelle campagne #SickOfPlastic du mouvement de mobilisation citoyenne On Est Prêt. Elle offre à toutes et tous des outils concrets pour lutter contre la pollution plastique à l’échelle systémique comme personnelle.
 

À l’occasion de la sortie du film, nous vous faisons découvrir les coulisses de la création d’un nouveau récit de fiction mis au service du Vivant au travers d'interviews exclusives de l'équipe du film (Julie Gautier, Hortense Le Calvez, Jacques Ballard, Claire Egnell et Magali Payen).

Nous concluons ce cycle d’entretiens avec Magali Payen, présidente d’Imagine 2050 et fondatrice du mouvement On Est Prêt. L'exploration de la démarche derrière la production de BAKELITE et la conception de la campagne #SickOfPlastic nous permet de mieux comprendre ce qu'est la production à impact.

« La fiction a cette capacité de toucher des publics beaucoup plus larges que le documentaire ou les reportages. » (Magali Payen)

D’où te vient cette envie d'allier art et mobilisation citoyenne ?

Depuis 2006, j’ai mis des mots sur le fait que je voulais être productrice de contenu à impact en me basant principalement sur des contenus de fiction, mais pas seulement. Même si la fiction a cette capacité de toucher des publics beaucoup plus larges que le documentaire ou les reportages. Elle peut aller chercher des personnes qui ne s’intéressent pas à un sujet ou qui sont curieuses mais pas engagées.
 
En 2006, le cinéma à impact existait uniquement aux Etats-Unis avec Participant Media. J’ai fait mon mémoire de fin d’études sur le cinéma d’engagement en 2007, et j’ai depuis construit toute ma vision de l’art autour de ce thème. C’est une vision très sartrienne de la culture, qui considère que tous les artistes et leaders culturels ont une responsabilité.
 
J’étudie donc le pouvoir de l’art depuis 2006 et cherche à le faire advenir, d’où le fait qu’On Est Prêt, le mouvement de mobilisation citoyenne que j’ai fondé, s’appuie sur des vidéos, ainsi que des livres et des œuvres musicales. Il n'y a pas de limite : la production à impact peut s’étendre à toutes les formes d’art, même au spectacle vivant. Autour de chaque œuvre on peut créer une mécanique amont/aval : aller chercher des experts et des contenus en amont pour ensuite donner au spectateur, en aval du visionnage de l’œuvre, des contenus très concrets pour agir.
 
Depuis des années c’est le type d'accompagnement que je mets en place auprès des leaders culturels avec lesquels on travaille chez Imagine 2050. L'objectif est de leur proposer en amont du contenu scientifique pour qu’ils se sentent plus légitimes sur ces sujets, et en aval des pistes d’action très concrètes avec des call to action et des mesures pour maximiser leur impact. C’est le cœur de la philosophie d’Imagine 2050.

D'où est née l'idée d'une collaboration avec Julie Gautier ?

J’ai rencontré Julie en septembre 2021 au Congrès mondial de la nature à Marseille, alors que je cherchais des réalisateur.ice.s qui avaient cette capacité de toucher des millions de personnes avec des œuvres puissantes. À une soirée, un ami me parle du court-métrage Ama, réalisé par une certaine Julie Gautier, et me dit qu’il faut absolument que je travaille avec la réalisatrice. Deux jours plus tard, alors que j’aurais dû rentrer chez moi mais que j’avais exceptionnellement prolongé mon séjour, un autre ami me dit à une autre soirée qu’il doit me présenter une réalisatrice et qu’on a vraiment des choses à faire ensemble : c’était Julie Gautier.
 
Julie m’a dit qu’elle avait alors depuis 7 ans cette idée d'un film sur la pollution plastique mais qu’elle n’arrivait pas à la mettre en place. C’était déjà l’histoire d’une Naïade et d’un géant de plastique. Je lui ai proposé de l’aider à réaliser ce film. Le Géant Bakélite est né de cette rencontre en septembre 2021 à Marseille, et nous avons cherché à faire les choses aussi bien que possible. C'était très important pour nous que le film soit éco-produit, et nous sommes ravis que BAKELITE soit le premier court-métrage à recevoir le label Ecoprod Pionnier. Il faut également souligner le travail de toute l'équipe, et notamment celui d’Hortense comme artiste plasticienne : grâce à son œuvre, il n'y a aucun recours aux effets spéciaux dans le film. Il faut également saluer le travail de Jacques à la photographie ! (Pour en savoir plus sur l'éco-production, venez découvrir nos entretiens avec Jacques Ballard, Hortense le Calvez et Claire Egnell) C'était également merveilleux de pouvoir enfin travailler avec le compositeur de musique électronique Rone. Nous avions envie de collaborer depuis 2019, et ce court-métrage de Julie en était enfin l’occasion.D’autant qu’on a eu la chance de pouvoir utiliser son titre phare Brest.
 

Peux-tu nous en dire plus sur la conception de la campagne qui est proposée en aval du film ?

L'idée de Julie depuis le départ était de mobiliser contre la pollution plastique. La campagne s'est donc construite autour de son film et de cette proposition. Le court-métrage renvoie vers un site internet qui propose plusieurs calls to action pour agir au niveau international, européen, et à son échelle. Il est toujours primordial chez On Est Prêt de donner la possibilité d’agir aussi bien au niveau systémique (interpellation des puissants) qu'individuel. Il s’agit, dans la production à impact comme nous l'entendons, de tisser tous les différents niveaux d’engagement et d’impulser un engagement global et holistique chez le spectateur.
 
Pour concevoir cette campagne, nous avons procédé chez On Est Prêt à ce que j’appelle « l’investigation créative » habituelle. Nous avons investigué auprès d’experts, d’ONG, de chercheurs, de journalistes, pendant des mois. On a lu les livres d’experts comme Nelly Pons (Océan Plastique), Capucine Dupuy (Plastic Tac Tic Tac), Nathalie Gontard et Hélène Seingier (Plastique, le grand emballement), Dorothée Moisan (Les Plastiqueurs) -qu’on a ensuite eu l’occasion d’interviewer, on a également pu s’entretenir avec Flore Berlingen de Zero Waste, Marc-André Selosse, des associations comme Surfrider, Break Free… On a ouvert très large pour bien comprendre quels étaient les sujets autour du plastique.

En tant que fondatrice du mouvement de mobilisation citoyenne On Est Prêt, peux-tu nous expliquer ce qu'est la campagne #SickOfPlastic ?

Le jeu de mot dans Sick Of Plastic (ndlr : qui est triple, “sick of plastic” évoquant à la fois le fait d’en avoir assez du plastique, “sea of plastic”, la mer de plastique, et “sick of plastic”, être malade à cause du plastique) nous permet d’indiquer l’angle de la santé que nous avons pris. Il nous semble primordial de lancer l’alerte sur cet angle qui, aujourd'hui, est moins mis en avant que d’autres, et nous avons été confortés dans cette décision par nos discussions avec des experts, notamment avec Marc-André Selosse, biologiste travaillant au Muséum d’Histoire Naturelle. Il nous a demandé de rappeler la grande règle du jeu, à laquelle nous sommes tous soumis, à savoir la loi de la sélection naturelle. Aujourd’hui on relâche tellement de xénobiotiques (molécules que l’humain synthétise chimiquement en laboratoire et qu’on ne retrouve pas à l’état naturel) dans la nature que le Vivant risque potentiellement de ne plus être en capacité de s’adapter. On sait que cela génère des maladies et que cela impacte la fertilité.

La toxicité des objets en plastique est problématique à chaque étape de la vie de l’objet : dès le moment de sa fabrication jusqu’à sa condition de déchet.
 
Lors de sa fabrication, il existe 13 000 additifs qui peuvent être ajoutés au plastique, afin de le rendre souple, coloré, résistant au feu… On n’a aucune idée des effets sur la santé de plus de la moitié de ces 13 000 additifs. On sait qu’un quart d’entre eux sont préoccupants pour la santé humaine, et pourtant on les utilise tout de même, et seulement 130 sont régulés. Les études faites sur les animaux montrent l’apparition de stérilité, de cancers, de maladies neuro-dégénératives, d’obésité, de diabète, etc…
 
Il y a déjà eu des scandales sanitaires, notamment autour du Bisphénol A. Il a été remplacé par le Bisphénol S car ce dernier n’a pas encore été étudié, mais dès lors qu’on commence à l’étudier on se rend compte qu’il est probablement aussi dangereux que le Bisphénol A. On a enlevé un additif toxique pour le remplacer par un additif non réglementé mais peut-être tout aussi toxique : c’est scandaleux. Le principe de précaution n’est pas du tout adopté.

Depuis 1950, seulement 9% du plastique a été recyclé. Sur les 91% restants, une petite partie a été brûlée (augmentant les gaz à effet de serre), et l’immense majorité a été rejetée dans la nature, dans des décharges et dans les océans, et se dégrade progressivement en microplastique et nanoplastique. Le plastique est considéré comme un polluant éternel car il n’est pas assimilable par les enzymes qu’on retrouve dans la nature. Cela fait quelques décennies qu’on utilise et produit du plastique sans avoir aucune idée de ses conséquences dans le futur, d’autant plus avec les additifs qu’on y ajoute.
 
De plus, le plastique se comporte comme une éponge et va capter tous les toxiques dans ses alentours (virus, bactéries…) puis les véhiculer. Par exemple, parmi le plastique qui flotte dans les océans, on a trouvé des bacilles de choléra. Lorsque j’étais au festival Séries Mania, j’ai découvert la série The Fortress qui imaginait un pays nordique qui fermait ses frontières et construisait une grande muraille autour de lui, mais malheureusement le virus arrivait par la mer sur une canette… C’est aujourd’hui ce que craignent les épidémiologistes.

« On parle aujourd’hui d’une véritable bombe toxique pour l’ensemble du Vivant. »

À partir du moment où le plastique est dégradé en nanoparticules, il intègre le cycle de l’eau, le cycle de l’air… Par exemple aujourd’hui il pleuvait sur Paris : dans cette pluie il y avait plus de 400kg de plastique. Lorsqu’il fait beau, c’est un peu plus de 40kg de plastique dans l’air à Paris, qui viennent principalement des pneus et des vêtements synthétiques ((cf. Plastic Forecast)[https://plasticforecast.com/fr/]. Tout ce plastique on le respire, et il est tellement petit qu’il traverse les membranes cellulaires et pénètre jusque dans le placenta humain.
On parle aujourd’hui d’une véritable bombe toxique pour l’ensemble du Vivant.
 

D’où notre campagne #SickOfPlastic,qui porte trois grandes mesures à faire sur le mois de novembre, qui seront actualisées dans les mois qui viennent :

  • Réduire la production plastique à la source au maximum. Aujourd’hui plus de la moitié des plastiques ne servent à rien : ce sont des emballages à usage unique.
  • Réduire la toxicité.
  • Pour les plastiques essentiels (qui sont minoritaires), il faut mettre en place la gestion du réemploi et en dernier lieu du recyclage si on ne peut plus les réemployer.

 

La santé est l’angle que nous avons choisi pour la campagne mais il y en a d’autres : l’impact sur les gaz à effet de serre dans tous les stades de la vie du plastique (de son extraction, à sa dégradation en passant par sa fabrication). Tous les enjeux de justice sociale : ceux qui sont en première ligne sont ceux qui habitent dans les zones très pauvres où le plastique est fabriqué, rejeté ou brûlé. Dans ces zones, il y a énormément de maladies et de cancers qui se développent. À l’état de macroplastique, on sait également qu’il a un impact dramatique sur l’ensemble des éco-systèmes, marins comme terrestres, qui étouffent. Certains hésitent même à rebaptiser l’Anthropocène en Plasticocène : en effet, le plastique est un élément qui n’existe pas à l’État naturel et qui va marquer la Terre pour une période très longue et indéterminée.
 

Déployer la campagne au mois de novembre nous permet de cibler le règlement PPWR au Parlement Européen. C’est un règlement sur les emballages qui est crucial : on a rarement vu autant de lobbying autour d’un règlement, notamment de la part de géants de la restauration comme McDonalds. L’INC3 se déroule également au mois de novembre (du 13 au 17), à Nairobi au Kenya. Il s’agit de l’équivalent de la COP climat, mais pour le plastique.
 

Les calls to action que nous proposons pour l'instant sur le le site d’On Est Prêt sont les suivants :

  • Signer une pétition qui demande aux états de voter un traité ambitieux à Nairobi
  • Au niveau des parlementaires européens, on souhaite avoir la loi la plus ambitieuse possible. On a déjà eu une première victoire mi-octobre à la commission ENVI : 2 amendements très importants pour lesquels les ONGs se battaient ont été sauvés, notamment grâce aux 8000 mails envoyés aux parlementaires par notre communauté. Le 21 novembre cette loi passe en plénière auprès de tous les députés, et on propose donc une nouvelle interpellation.
  • On propose également un kit de projection-débat pour qu’un maximum de personnes puissent diffuser le film gratuitement dans leur communauté, leur école, leur association, leur entreprise, leur famille… et se sensibilisent au sujet. Dans le kit il y a tout un mode d’emploi pour organiser sa projection-débat, les infos clés à connaître sur le plastique, les questions pour animer un débat… Diffuser Bakélite gratuitement c’est évident pour nous afin qu’il puisse être vu par un maximum de personnes puisque notre objectif est vraiment la mobilisation et l’impact.
  • On propose enfin un kit pour apprendre à dé-plastifier sa vie et devenir zéro déchet, avec des ressources de plein d’associations différentes.
     
    Ces calls to action sont cependant amenés à évoluer avec le temps, et la campagne #SickOfPlastic ainsi que le film BAKELITE seront toujours d'actualité dans les mois à venir.

 

Aller plus loin

Retrouvez l'interview de Julie Gautier, réalisatrice de BAKELITE. Elle revient sur la démarche artistique et engagée derrière son œuvre.
Découvrez les secrets de l'éco-production au travers de notre entretien avec Claire Egnell, Jacques Ballard et Hortense Le Calvez.
Et surtout : plongez dans l'univers de Julie Gautier en regardant BAKELITE !