Quelles sont les transformations nécessaires pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique ?

Selon le GIEC, les médias « ont un rôle crucial dans la perception qu'a le public [du changement climatique], sa compréhension et sa volonté d'agir ». Nous avons échangé avec des professionnels du milieu pour comprendre la transformation du secteur vers un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique.

Formation Le Parisien Sophie Roland

Pourquoi les journalistes ont-ils un rôle si important dans la transition écologique ?

Les derniers sondages montrent que malgré la multiplication des canaux d’information et la part grandissante d’internet dans notre façon de nous informer, la télévision reste la source que les Français et Françaises utilisent le plus pour s’informer et en laquelle ils ont le plus confiance. La presse écrite continue elle aussi de jouer un rôle clé, dans sa version papier et dans sa version numérique, se positionnant sur le podium des trois sources d’information principales en France.
 
On comprend alors que les médias jouent toujours un rôle clé dans la construction de l’opinion publique, et ont un devoir d’informer avec justesse et précision sur les enjeux écologiques. Pour reprendre les termes du GIEC dans son 6e rapport :

Formation TF1 Equipes rédac TF1

Les médias « cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique. Ils ont un rôle crucial dans la perception qu'en a le public, sa compréhension et sa volonté d'agir. »

Dans ce dossier, nous explorons en 360° la question de la responsabilité des médias. Grâce à six entretiens de professionnels, nous mettons en lumière les objectifs à atteindre, la réalité du terrain, les besoins des journalistes ainsi que les solutions et les initiatives mises en place.
Sophie Roland, journaliste et formatrice certifiée du Solutions Journalism Network, accompagne pour nous les rédactions du Groupe TF1 et du Parisien. Elle nous parle de l'importance de former les journalistes au traitement des enjeux climatiques. Julien Roux, grand reporter pour TF1, et Laurence Voyer, directrice adjointe des rédactions du Parisien, nous partagent leurs impressions et les changements qu'ils ont pu observer dans leur travail et dans leurs rédactions depuis leur formation Imagine 2050. Eva Morel, de l'association Quota Climat, revient ensuite sur le constat de la société civile. Géraldine Van Hille, cheffe du département cohésion sociale à l'Arcom nous rappelle le cadre réglementaire existant sur le traitement de l'information écologique dans les médias. Enfin, Béatrice Héraud, journaliste et formatrice, s'exprime au sujet de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique, rédigée il y a un an par un collectif de journalistes.

La nécessité de former les journalistes

Entretien avec Sophie Roland

Sophie Roland, journaliste et formatrice certifiée du Solutions Journalism Network, accompagne pour nous les rédactions du Groupe TF1 et du Parisien. Elle intervient également chez France TV et dans les écoles de journalisme. Elle nous détaille ici les enjeux de formation des journalistes sur les sujets d'écologie et au journalisme de solutions.

Depuis tes débuts en tant que formatrice, as-tu observé une évolution du milieu, avec des journalistes plus au fait ou des points qu’il n’est plus nécessaire d’aborder par exemple ?

Les niveaux de connaissance sont différents selon les journalistes mais globalement, dans toutes les formations, il faut rappeler les bases scientifiques, c’est qu’est l’effet de serre, expliquer le fonctionnement du GIEC, le changement climatique et l’influence humaine, le rôle de la biodiversité et les limites planétaires. Les journalistes sont en attente d’ordres de grandeur, de sources, de chiffres clés pour comprendre l’urgence climatique dans laquelle nous sommes. Mais il n’y a plus de besoin de les convaincre qu’on ne peut pas se contenter de filmer les Français en maillot de bain quand il y a une canicule. Ils ont compris que nous ne pouvions pas continuer à minimiser la réalité du changement climatique. Contextualiser un événement extrême au regard du changement climatique est devenu une évidence. Et les journalistes sont demandeurs d’outils et d’experts pour les guider.

À la fin d’une formation, vois-tu un avant/après ?

Difficile de voir un changement du matin pour le soir. Ce qui me touche, c’est quand les moins convaincus au départ viennent me remercier de leur « avoir ouvert les yeux sur l’urgence du problème ». Cependant les changements, on les remarque surtout à l’antenne ou en lisant les articles.
 
Les formations d’une journée sont denses, je partage beaucoup de connaissances et de sources. Ils ont besoin de plusieurs jours pour digérer tout ça ! Donc je vois surtout le résultat avec des angles de reportages sur lesquels nous avons échangé pendant la journée. Par exemple, je vois de plus de plus de reportages sur les solutions d’adaptation : comment on se prépare aux impacts du changement climatique, ce qui est une grande avancée. On ne sous-estime plus le problème, on le traite avec des solutions concrètes. J’observe également davantage de sujets sur l’atténuation et comment réduire nos gaz à effet de serre. Des reportage par exemple sur des citoyens qui lâchent leur voiture ou des villes qui aménagent des pistes cyclables. C’est plus dur à traiter car cela implique d'identifier comment des citoyens changent de mode de vie ou certaines entreprises de modèle économique. Mais il y a de plus en plus d’exemples inspirants qui montrent ce qu’on peut gagner à changer.
 
Montrer les avantages du changement, c’est informer sans culpabiliser et je suis convaincue qu’on verra encore plus de sujets comme ça en 2024 !

Qu'apportent les formations climat aux journalistes ?

Entretien avec Julien Roux

Il nous paraissait important d’interroger des journalistes faisant partie de médias ou journaux dont l’écologie n’est pas au cœur de la ligne éditoriale, mais qui cherchent aujourd’hui à toujours s’améliorer sur ces sujets pour être à la hauteur des enjeux. Julien Roux est grand reporter service Economie chez TF1 Info. Il a suivi la formation Journalisme et Climat d'Imagine 2050 avec Sophie Roland et nous parle de ce qu'elle lui a apporté.

Depuis combien de temps observez-vous dans le secteur du journalisme une volonté de faire de l’écologie un sujet important, et quelles sont les premières difficultés rencontrées ?

On a toujours fait de l’environnement dans les journaux télévisés de TF1. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur que ça a pris. En septembre 2022, on inaugurait le format « Notre Planète ». Quand on lance ces formats, on se demande comment on va traiter l’information à l’antenne. J’ai fait partie des journalistes qui ont suivi pour cela la formation Journalisme et Climat d’Imagine 2050 avec Sophie Roland pour apprendre à mieux aborder les sujets d’écologie.

Elle était très complète, nous informant sur la complexité systémique du changement climatique ainsi que sur notre empreinte carbone, qu’on a chacun mesurée. C’était une prise de conscience personnelle de notre impact et des enjeux du climat, ainsi que de la façon dont on envisage ces questions. Nous nous sommes interrogés sur tous les angles à traiter et même les termes que nous utilisons dans nos reportages : est-ce qu’on parle de « changement » climatique ?
 

En quoi la formation Journalisme et Climat vous a-t-elle permis de surmonter certaines difficultés rencontrées lorsque vous traitiez d’écologie dans vos reportages, et quels sont les changements que vous observez à l’échelle de la rédaction ?

J’avais déjà de l’appétence pour ces thématiques avant, et grâce à la formation, j’ai obtenu des outils pour mieux travailler, pour mettre en perspective l’information ou encore pour appliquer les techniques du journalisme de solutions, qui ne consiste pas à faire de l’angélisme. Il faut non seulement vérifier les faits, mais aussi réellement mettre à l’épreuve les limites de chaque solution. Personnellement, depuis la formation, je m’intéresse plus aux limites d’une solution avancée qu’avant. Par exemple, j’ai dernièrement fait un reportage sur les jouets en plastique recyclé. Je suis allé voir aussi bien une entreprise qui en fait, qu’une entreprise qui n’en fait pas. Ainsi, j’ai pu leur demander pourquoi ils n’en faisaient pas, quelles étaient leurs problématiques, dans quelles conditions il est possible de faire du plastique recyclé pour les jouets, et surtout : est-ce réellement bénéfique pour l’environnement ? On demande aujourd’hui plus de preuves à nos interlocuteurs : l’entreprise française qui produit des jouets en plastiques recyclés que nous sommes allés voir, par exemple, avait calculé son impact avec l’ADEME. (Voir le reportage)
 
Sophie Roland nous a aussi permis d’avoir un carnet d’adresse de scientifiques et d’experts, très utile pour trouver les bonnes sources. C’est un dialogue régulier, des échanges qui se sont multipliés au sein de la rédaction, parce qu’on a quasiment tous suivi cette formation. Il y a un débat maintenant, ce qui veut dire que l’opération est réussie. Le sujet, aujourd’hui, est au cœur des préoccupations.

Non seulement les sujets sont plus nombreux, mais ils sont aussi plus longs et plus fouillés, leur traitement est plus profond. Il y a un vrai intérêt des éditions lorsqu’on propose des sujets. À la rentrée, je suis allée voir le rédacteur en chef du 20H pour lui proposer un long format sur l’érosion, qui est devenu un format de 6 minutes, ce qui est très long à l’échelle du JT du soir.
 
C’est souvent sur le terrain que l’on se rend compte de la réalité du problème. En septembre, j’ai fait un reportage sur les agriculteurs qui sont obligés de changer leurs cultures pour s’adapter au changement climatique. L’un d’entre eux m’a amené au bord d’un lac qui était à sec. Il m’a montré à quelle hauteur l’eau était d’habitude. Grâce à l’infographie, on a pu remettre en perspective et illustrer jusqu’où l’eau devrait être par rapport à l’image que nous avions filmée. Notre interlocuteur se retrouvait sous l’eau. Nous essayons d’être très pédagogiques et de montrer la réalité du problème, et les outils tels que l’infographie ou le drone nous aident à l’être. Ils nous permettent de prendre de la hauteur et de montrer les phénomènes, comme ici la sécheresse. L’agriculteur en question était l’ancien président du haricot de Castelnaudary, et il a été contraint de changer sa production cette année car il ne pouvait plus en faire. Ce sont des exemples très concrets que l’on rencontre sur le terrain et qu’on essaie de mettre en lumière. L’objectif n’est pas de faire peur, mais d’informer. Faire le constat, et montrer les solutions qui existent en les questionnant.
 
Il ne s’agit plus simplement de faire des grands constats et des rapports sur les COP ou sur des études scientifiques, mais d’expliquer en quoi le réchauffement climatique va changer le quotidien. C’est quelque chose que je fais plus qu’avant. Il faut donner la parole à des habitants et montrer quels vont être et quels sont déjà les effets pour eux, dans leur quotidien. Cela permet au téléspectateur de s’identifier à ces témoignages. Interviewer un scientifique est très bien et capital, mais ne suffit pas : cela reste flou pour les gens. Il faut toucher à leur quotidien.
 
Le résultat est très positif. On a souvent de bons retours : aussi bien des téléspectateurs, qu’en interne, de la part des rédacteurs en chef et des collègues. Il y a un véritable intérêt pour ces sujets, qui interpellent. Ils marchent : l’opération est réussie !

Comment les rédactions se transforment-elles ?

Entretien avec Laurence Voyer

Laurence Voyer, directrice adjointe des rédactions au Parisien, a elle aussi accepté de répondre à nos questions pour nous parler des changements au sein de la rédaction du quotidien depuis le début des formations. Son ressenti sur les transformations dans la presse vient compléter celui de Julien Roux.

Après une quinzaine de sessions de formation des journalistes du Parisien par Imagine 2050, y a-t-il déjà eu un changement dans la rédaction ou au sein d’une ou plusieurs équipes ?

Oui, c’est très net. Les propositions de sujets pour notre supplément « Ma Terre » émanent de bien plus de services qu’avant, du supplément Économie par exemple. On voit qu’il y a un enthousiasme pour trouver des angles. Un onglet climat a par ailleurs été créé dans la rubrique Environnement sur le site internet du Parisien. Il vient d’être alimenté par un long format sur tout savoir sur le dérèglement climatique en 25 questions ainsi qu’un quiz. Des réflexions sont en cours avec la direction numérique pour voir comment on peut valoriser ces contenus sur le site…

Quels sont les besoins principaux des journalistes pour améliorer leur traitement de l’information écologique ?

Tout d’abord, une culture générale solide sur les questions environnementales qui pour beaucoup n’ont pas été abordées au cours de leurs études. Les écoles de journalisme n’ont mis les enjeux climatiques dans leur programme que récemment et la plupart des journalistes, dans notre rédaction du moins, ont un parcours plus littéraire que scientifique. Au-delà des faits et de la compréhension des mécanismes, il est important de se pencher sur la manière dont les sujets sont traités pour « parler » à nos lecteurs. Quel ton adopter pour participer à la prise de conscience sans avoir l’air de donner des leçons et sans décourager ? Enfin, nous avons besoin de clés pour mieux traiter les initiatives présentées comme green : quel est leur impact réel, mais aussi leurs limites. Au-delà des sujets à connotation environnementale évidente (la COP, l’eau, les canicules, les catastrophes liées aux intempéries), les journalistes se posent aussi des questions sur la manière dont ils couvrent l’actualité de leur rubrique en sport, en économie, en culture. Le climat devient une matière transversale qu’il faut maîtriser.

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Les médias ont pour devoir de toujours s'améliorer sur le traitement des enjeux écologiques

Entretien avec Eva Morel

Eva Morel est collaboratrice parlementaire ainsi que co-fondatrice et co-présidente de l'association QuotaClimat. Cette association constituée début 2022, en pleine campagne présidentielle, a pour mission d'interpeller sur la faible place de la crise écologique dans l'agenda médiatique. Aujourd’hui, son action s’est étendue à de la mobilisation (#DernierDébat), à la rédaction d’une proposition de loi ou encore à des interventions dans des écoles de journalisme et de communication. QuotaClimat souhaite d’ailleurs élargir ses actions et a lancé une campagne de crowdfunding à laquelle vous pouvez participer si vous souhaitez les soutenir.

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Est-ce qu’aujourd’hui le journalisme en France est à la hauteur de l’urgence climatique ?

Chez Quota Climat, on distingue 4 carences fréquentes en termes de traitement de l’info : premièrement, la quantité. On ne parle pas suffisamment de l’urgence climatique dans les médias. On a lancé un baromètre en partenariat avec Data for Good, et l’on peut observer que l’écologie occupe entre 1 et 2% de l’espace médiatique. Les COP forment une bonne étude de cas concrète : la COP15 sur la biodiversité (2022) a occupé 0,3%, à savoir 21 fois moins que la coupe du monde de football au Qatar à la même période.
 
Deuxièmement, la qualité du traitement de l’information, parce qu’il est compliqué de parler correctement des enjeux écologiques. On parle souvent des conséquences, et moins des origines du changement climatique ainsi que des solutions. Il y a ensuite beaucoup d'interventions de représentants d’intérêts (économiques et partisans) plutôt que d'experts. L’information n'est donc pas perçue comme fiable et digne de confiance. Il y a également encore trop de confusion entre fait et opinion dans certains médias.
 
La troisième carence fréquente est la différence entre les contenus éditoriaux et les contenus publicitaires. Il n’est pas rare de voir des publicités ne faisant absolument pas la promotion de choses durables juxtaposées avec des contenus éditoriaux sur l’écologie.

 
Enfin, le quatrième et dernier problème majeur qui peut apparaître est le manque d’échanges entre les rubriques à l’intérieur d’une rédaction. Cela porte préjudice à la compréhension systémique des enjeux, et comme certains lecteurs ne s’intéressent qu’à une partie de l’information (par exemple uniquement les rubriques économie, ou sport), on ne touche qu’une partie de la population.
 

Est-ce que l’on constate une amélioration ?

Oui ! On voit apparaître de plus en plus de chartes volontaires (Info TF1, France TV, M6…), qui permettent aux médias de s’engager, et c’est très positif. Lorsqu’il n’y en a pas, il est difficile de dire à un média qu'il est en contradiction avec ses engagements et donc de le pousser à améliorer son traitement de l’information écologique.
On observe également beaucoup d’efforts qui restent toutefois parfois maladroits. En ce moment par exemple, il y a encore dans le traitement de la COP28 à Dubaï énormément de techno-solutionnisme. On parle des solutions, ce qui est positif, mais pas toujours correctement. Il faut également améliorer les ordres de grandeur et le choix des sujets. Beaucoup d’exemples mis en avant relèvent de la maladaptation [1]. Ceci est notamment dû à la difficulté de trouver des exemples de solutions : les journalistes vont alors se tourner vers les communiqués de presse des entreprises qui sont parfois trompeurs ou versent dans le greenwashing…
 
 
[1] La maladaptation est une adaptation qui échoue à réduire la vulnérabilité, mais au contraire, l’accroît (GIEC).

Une réglementation encore en construction

Entretien avec Géraldine Van Hille

Face au constat de l'association QuotaClimat, nous nous sommes interrogés sur les détails de la réglementation existante. Géraldine Van Hille, cheffe du département cohésion sociale à l'Arcom, a accepté de nous en parler et de détailler les dernières évolutions observées. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a fait appel à Imagine 2050 pour organiser des formations et une conférence afin de mieux s'approprier les enjeux de transition écologique et poursuivre ce travail d'encadrement pour un meilleur traitement de l'information écologique.

Quelles sont les règles qui existent aujourd’hui en France sur le traitement de l’information écologique par les journalistes ?

En France, aucune réglementation spécifique ne dicte le traitement de l’information écologique par des journalistes. Toutefois, les principes fondamentaux du journalisme tels que l’exactitude et la véracité des faits s’appliquent sur ce sujet comme pour tout autre. Pour les médias audiovisuels, sous le contrôle de l’Arcom, les obligations légales d’honnêteté et de rigueur de l’information, y compris écologique, ainsi que l’expression de différents points de vue sur des sujets prêtant à controverse, qui peuvent avoir trait à l’environnement, par les journalistes, s’imposent. Par ailleurs, certains médias se sont dotés de chartes professionnelles sur le sujet (exemple : Radio France, Altice).
 

Y a-t-il eu des changements dans ces règles dans les quelques dernières années ?

Il y a eu quelques évolutions ces dernières années, notamment s’agissant de la prise en compte du sujet de l’environnement par les médias audiovisuels. Depuis le début d’année 2023, les conventions des médias audiovisuels privés conclues avec l’Arcom, qui sont renouvelées, incluent un article sur la « protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique ». Ce dernier prévoit notamment que « l’éditeur contribue à la lutte contre le changement climatique et à la transition écologique », et qu’il « rend compte annuellement à l’Arcom de ses actions […] destinées à sensibiliser le public aux enjeux de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique ». Chaque convention peut ensuite intégrer des engagements spécifiques à chaque chaîne (experts référents, programmation…).
 
Par ailleurs, les médias audiovisuels ont souscrit des contrats-climat, outil d’engagements volontaire créé par la loi Climat et Résilience. Ces derniers incluent des engagements spécifiques sur leurs contenus éditoriaux tels que « traiter dans les programmes des thématiques liées à l’environnement, sa protection et la lutte contre le dérèglement climatique » ou encore « intégrer dans les émissions des représentations de pratiques favorables à la transition écologique ».

Quels sont les défis principaux auxquels est confrontée l’Arcom au sujet de la communication sur l’écologie ?

Le rapport du GIEC met en avant la responsabilité des réseaux sociaux et des médias qui peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. En effet, selon ce rapport, les médias « cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique et ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir » par ailleurs, il indique que « la norme journalistique de « l’objectivité » (donner un poids égal aux scientifiques du climat et à leurs contradicteurs) biaise la couverture des enjeux environnementaux en amplifiant certains messages qui ne sont pas compatibles avec la science ». Les médias et les annonceurs jouent également un rôle dans la transformation des imaginaires et des modes de vie. En tant que régulateur et « maison de l’audiovisuel », notre rôle est important non seulement pour accompagner le secteur dans cette prise de conscience mais aussi pour s’assurer que les médias audiovisuels et numériques délivrent des informations fiables et compréhensibles pour leurs publics afin de faire évoluer les pratiques de consommation de manière plus responsable et plus durable. En proposant de nouveaux récits propices à de nouvelles manières d’agir, les médias contribuent à rendre accessible et désirable la transition écologique.
 
La question de la dissonance entre contenus éditoriaux et publicité est également un défi régulièrement mis en lumière. Via la promotion et l’évaluation des contrats-climat, l’Arcom a aussi pour mission d’aider à accompagner les annonceurs et, par là, l’ensemble de la chaîne de valeur de la publicité vers des communications et des pratiques plus favorables à la transition écologique.

Des journalistes au fait de leur responsabilité

Entretien avec Béatrice Héraud

Pour terminer ce dossier, nous souhaitions redonner la parole à une journaliste pour qu'elle s'exprime au sujet de la Charte pour un Journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Née en 2022 et signée par plus de 1900 journalistes de rédactions de tous les horizons, elle est un exemple supplémentaire de la transformation en cours du journalisme et des médias.
 
Journaliste indépendante spécialisée dans les enjeux environnementaux, formatrice pour Imagine 2050 et d’autres organismes de formation, Béatrice Héraud faisait partie des journalistes pionniers dans la rédaction de la Charte pour un Journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Rejoignant les propos de Sophie Roland et Laurence Voyer, elle nous rappelle que n'est souvent pas un manque de volonté de mieux traiter l'info, mais plutôt un manque de connaissances techniques des enjeux qui empêche une amélioration du traitement de l’information écologique. C’est exactement pour pallier ce manque que nous avons créé Imagine 2050 : aider et former les leaders culturels, parmi lesquels se trouvent les journalistes.

En tant que journaliste, est-ce que tu considères comme le dit le GIEC que le secteur a un rôle clef à jouer dans la transition écologique ?

Absolument. Le journaliste a la responsabilité d’informer le plus justement et honnêtement possible. Or, le défi écologique, à travers le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la crise de l’eau et les diverses pollutions, est une donnée majeure du XXIème siècle qui bouleverse le fonctionnement des écosystèmes mais aussi notre société et notre économie à une échelle planétaire. Il n’est donc plus possible de traiter l’information sans intégrer cette donnée dans le suivi et l’analyse de l’actualité au sens large. Par ailleurs, une partie encore trop importante de la population ne croit pas en l’origine humaine du changement climatique ou en minore les conséquences.  
On en parle moins mais c’est la même chose pour la biodiversité. Le journaliste a selon moi la responsabilité d’expliquer les causes et les conséquences de ces dérèglements mais aussi de décrypter les réponses qui permettent de les éviter, de les réduire ou de s’y adapter. Ce travail est essentiel pour rendre possible la transformation du système à la hauteur de l’enjeu écologique.
 

Quels sont les risques, si le journalisme ne s’améliore pas dans son traitement de l’information écologique ?

Par leur travail d’information, les journalistes éclairent les citoyens et dirigeants économiques et politiques dans leur action. Mal informés, ces acteurs ont donc le champ libre pour agir de façon inadéquate face aux enjeux. Mais ne soyons pas naïfs : l’information ne suffit pas. Aujourd’hui, les dirigeants des compagnies pétrolières et les chefs d’Etat savent exactement quels sont les tenants et aboutissants du problème. Ce qui manque, c’est la volonté d’agir vite et (très) fort, ce qui demande une transformation radicale de nos systèmes de production et de consommation. Cela entraîne une polarisation des différents acteurs, entre ceux qui aspirent au changement et les partisans d’un statu-quo. C’est sans doute là-aussi que les médias, en tant qu’acteurs majeurs de la démocratie, ont un rôle à jouer : en donnant les clés d’un débat apaisé plus qu’en recourant à la technique du clash et de la division, très utilisée aujourd’hui pour parler des enjeux écologiques.

 
Enfin, je pense qu’il y a un risque de mal information et d’aggravation de la polarisation en cours à ne pas suffisamment traiter les liens entre le défi écologique et les inégalités sociales. Là-dessus, nous avons vraiment un gros travail à faire en tant que journalistes.
 

Pour répondre à ces enjeux sortait, il y a un an, la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique. Y a-t-il eu un avant / après ?

La charte a été signée par plus de 1 900 journalistes, rédactions, associations de journalistes, organismes de formation spécialisés ou écoles de journalisme. On peut se dire que c’est peu sur 35 000 cartes de presse mais, au-delà des signatures, la charte a surtout mis la question du traitement médiatique de l’écologie en débat dans les rédactions et l’espace public. Le contexte de l’été 2022, fait de canicules, de sécheresses puis d’inondations, y a évidemment aidé : on ne peut plus faire comme si le changement climatique n’affectait pas déjà notre vie et la plupart des médias l’ont compris aujourd’hui même s’il reste encore beaucoup d’efforts à faire pour être à la hauteur de l’urgence écologique.
 
La charte a aussi permis de valider des bonnes pratiques (plusieurs chartes de médias s’en inspirent) et elle est devenue un outil pour de nombreux journalistes qui peuvent s’y référer pour leur travail quotidien ou pour souligner des problématiques au sein des rédactions signataires. Comme il n’y a pas d’autorité de contrôle de la charte, il est important de la faire vivre, à travers la formation des journalistes et rédactions en chef notamment, mais aussi l’accompagnement des signataires. C’est l’objet de la journée du 10 janvier 2024 qui permettra à tous les signataires de se retrouver (à la Gaîté Lyrique, à Paris) pour un retour d’expérience sur la charte et son avenir. On pourra y suivre des ateliers pratiques (sur le greenwashing par exemple) et y échanger sur les blocages rencontrés dans les rédactions ou des bonnes pratiques éditoriales dans l’après-midi. Une soirée grand public est ensuite prévue avec les témoignages de journalistes comme Nicolas Legendre, Prix Albert Londres 2023 pour son travail sur l’agrobusiness, mais aussi des localiers, rédacteurs en chefs, présentateurs, formateurs…

Conclusion

De tous ces échanges, nous retenons que le traitement de l’écologie par les médias est en mouvement : on note une volonté grandissante dans le secteur du journalisme de s’améliorer. Les outils et les initiatives, qu’il s’agisse de chartes ou des conférences et formations comme celles que nous proposons chez Imagine 2050, se multiplient. Nous croyons ainsi qu'ensemble nous pouvons relever ce défi et faire des journalistes des acteurs de la transformation écologique !

Si votre rédaction ou votre organisation souhaite elle aussi se former pour être à la hauteur de l’urgence écologique et sociale, contactez-nous !